Production/Commercialisation

Extrait du catalogue sur la faïence et la terre vernissée d’Auvillar (2015 – Jean Darrouy).

Au XVIIIe siècle, on a un indice intéressant de l’importance de la production auvillaraise grâce à une lettre de François Ferdinand Hustin, le faïencier de la manufacture de Bordeaux. Ce dernier se plaint à l’Intendant Tourny de la concurrence de diverses “petits faïenceries”, dont Auvillar, indiquant que de ce fait “ses produits ne s’écoulent pas assez vite”. Parmi les faïenceries utilisant la Garonne comme moyen de commercialisation, Montauban est la seule à être également citée, ce qui, par comparaison, témoigne de l’importance de la production des faïenceries auvillaraises. En 1803, à Sainte-Foy la Grande, se fabrique jusqu’à 40 ou 50 cuites ou fournées par année, qui produisent chacune 12.000 à 13.500 douzaines de pièces par an, une douzaine pouvant comporter plus ou moins de 12 pièces selon la taille et la quantité de travail nécessaire pour produire ces mêmes pièces. Et ce avec 25 personnes. A Auvillar, rappelons-le, à cette époque, les faïenceries emploient 41 personnes.
En 1806, la statistique de Lafont du Cujula annonce au moins une cuite par mois, ce qui représente globalement 80 cuites pour l’ensemble des fabriques, soit le double de Ste-Foy la Grande.
La production auvillaraise est donc importante au début du XIXe siècle.
En 1840, la production auvillaraise reste très significative, vu la réponse du maire à une lettre du préfet, qui indique que les “neufs fabriques fabriquent annuellement 182.000 douzaines d’assiettes assorties”, dont les débouchés sont Toulouse , Bordeaux, la Gascogne et le Quercy.
Les faïenceries produisent 3 types de céramiques : “de la faïence grise à l’instar de Gênes, blanches et façon de Rouen”. Déjà en 1833, un rapport de la sous-préfecture de Moissac indiquait qu’à cette époque la production se divisait entre “faïence grise” et “faïence à la façon de Rouen” (cul noir, à l’oxyde de manganèse). La faïence grise désigne les terres vernissées, produites selon les mêmes techniques que la faïence stannifère, mais recouvertes d’un vernis plombifère, majoritairement brun à Auvillar. Il ne s’agit pas à proprement parler de faïence de Gênes, mais d’une céramique qui évoque cette production.

Assiette au revers “cul noir”
Plat en terre vernissée brune

Selon les statistiques de 1840 (données de l’année en cours ou des années précédentes), la production se décompose de la façon suivante : 163.000 douzaines de faïences grises et 19.000 douzaines de faïences blanches, que seules 4 fabriques continuent de produire, celle de Dominique Pons, de Larroche-Verdier, de François Verdier et de Jean Pommadère désormais dirigé par sa veuve Catherine Verdun. La production de faïence blanche est donc manifestement en déclin. La concurrence provient des manufactures françaises qui produisent de la “faïence fine”, telles que Creil, Sarreguemines…ou dans le sud-ouest Toulouse et Bordeaux, à l’imitation de faïence anglaise (les faïences fines, mises au point en France et en Angleterre au XVIIIe siècle, sont fabriquées à base de terres blanches ou cuisant blanc, qui ne nécessite donc pas une couverte opacifiée aux sels d’étain).
A Toulouse, Fouque produit de la faïence fine dès le début du XIXe siècle, qui sont peintes avec les mêmes technique que la faïence stannifère. Au départ, les décors sont donc peints de façon classique et non imprimés, puis cette production “hybride” va disparaître progressivement et être remplacée par celle de faïences fines imprimées “à la façon anglaise” qui va rapidement, avec une production de porcelaine, devenir majoritaire dans cette manufacture (Fouque). A cette date, à Bordeaux, autre débouché traditionnel pour les faïenciers auvillarais, David Johnston fabrique des faiences fines depuis 3 ans.

faïence blanche d’Auvillar

Pour ce qui est des faïences blanches encore produites à Auvillar au début des années 1840, on ignore si une partie est peinte. A la même époque en France, les faïences peintes ne représentent plus guère que 10% de la production, et encore s’agit-il majoritairement de décors sommaires.
En 1848, la statistique précise qu’à Auvillar, à propos de la faïence blanche, que “cette dernière fabrication a cessé par suite de l’établissement de diverses usines de ce genre dans le département de la Gironde notamment à Bordeaux”. En 1845, effectivement la société Jules Vieillard emploie 500 ouvriers et la société Fouque & Arnoux à St-Gaudens, 400. La concurrence était inégale.
Le registre de correspondances de Maxime Castex pour les pièces vendues hors Auvillar, et qui couvre la période 1845/1872, permet d’avoir la certitude que seule demeure dans cette faïencerie, et dès 1845, une production de terres vernissées sous la dénomination de faïences grises. Dans ce registre, Maxime Castex y fait état de contrats signés entre les fabricants, qui les engagent quant aux prix pratiqués et aux modalités de vente. Plus aucun fabricant auvillarais ne fabrique de faïence blanche après 1845.

Statistiques de 1848 (AD82)

L’essor de la faïence grise

Le choix économique de se reconvertir dans la production de faïences grises ou terres vernissées, produit faïencier pour lequel demeure une forte demande en raison de son prix, va s’avérer judicieux et tout à fait pertinent à une époque où la majorité des faïenceries du Sud-Ouest ont déjà fermé leurs portes. Car en 1848, les fabriques auvillaraises produisent encore 80.000 douzaines d’assiettes, 5.000 douzaines de soupières, de plats et de casseroles, et 26.000 douzaines de cafetières. L’initiative des fabricants auvillarais de se consacrer désormais à la fabrication d’un produit que l’on qualifierait aujourd’hui “d’entrée de gamme” témoigne d’une remarquable faculté d’adaptation de leur offre au marché.
Il était exclu à Auvillar de réaliser des investissements financiers considérables pour produire de la céramique façon anglaise (faïence fine).
Les fabricants auvillarais, avec des unités de production dont la taille est sans commune mesure avec les grandes manufactures de Bordeaux et de Toulouse, parviennent cependant à conserver une part de marché non négligeable, avec un produit faïencier solide, qui résiste au feu, certes non innovant, et qui se vend, dans les années 1845, entre 65 et 80 centimes la douzaine d’assiettes, frais de bateau par la Garonne inclus vers Bordeaux ou Toulouse, alors qu’en France à la même époque la douzaine assiettes blanches non décorées, départ fabrique, se situe aux environs de 1,50 francs, et la douzaine d’assiettes imprimées (Creil-Montereau), au-dessus de 3,50 francs, enfin 6 francs pour la douzaine d’assiettes en porcelaine blanche (manufacture Fouque & Arnoux).
On est bien loin de la vision purement esthétique de la vaisselle considérée exclusivement par Forestié comme art décoratif, et qui lui fait voir dans cette évolution le signe du “défaut d’initiative et de l’apathie des fabricants qui ont causé la décadence de cette industrie”, vision erronée d’un érudit, bien loin des réalités économiques de cette deuxième moitié du XIXe siècle.
La production des terres vernissées reste florissante jusqu’à la fin des années 1870 en ayant permis d’assurer pendant plusieurs décennies la pérennité des faïenceries auvillaraises malgré des bouleversements économiques majeurs, pour diminuer graduellement par la suite, et s’éteindre par la fermeture de la faïencerie d’Antoine Coupeau, au Canel, vers 1909.

Commercialisation

Le transport fluvial

Dans la description topographique et statistique de la France, Peuchet et Chanlaire, les géographes de Napoléon 1er, publiée en 1811, écrivent à propos des fabriques d’Auvillar :”le grand débouché de ses faïences est Bordeaux, par la navigation de la Garonne, d’où l’on transporte cette faïence dans les départements de l’ancienne Bretagne”.
Le port d’Auvillar occupe une place de premier ordre dans l’économie de la ville, permettant aux faïences et autres marchandises produites sur place (bas de laine, plumes d’oie, tonneaux…) d’être embarqués à destination de Bordeaux et des nombreux petits ports qui jalonnent la Garonne.
L’activité y est intense et on compte 49 familles de mariniers en 1789. Il y a également plusieurs marchands et négociants importants dans le quartier du port où ils résident, tel les Ducros, “marchands de pots de terre”, les Larroque. Henry Landauer sera le premier fabricant de faïences à s’installer au port, il sera suivi par plusieurs au XIXe siècle.
La navigation sur la Garonne est dangereuse, le débit est irrégulier, les crues violentes et les bancs de sable nombreux et changeants. Les moulins à nef gênent la navigation, des conflits éclatent et ils seront interdits au cours du XIXe siècle. Le transport des marchandises se fait essentiellement par gabarre, bateaux de bois à fond plat d’une vingtaine de mètres de longueur, capables d’affronter toutes les conditions d’étiage. Le trajet direct jusqu’à Bordeaux sans escales s’effectue en moins de 3 jours. Il en faut plus du double par voie terrestre.
Les faïences, du fait de leur fragilité, doivent être soigneusement emballées, pour éviter la casse. On utilise des caisses en bois ou d’osier (des “harasses”), remplies de paille ou de foin.

Maquette de gabarre – Musée du Vieil Auvillar


A partir de 1848, avec l’ouverture du tronçon Toulouse/Agen du canal de Garonne, qui ne sera achevé qu’en 1856, les marchands auvillarais délaissent progressivement la Garonne au profit de cette nouvelle infrastructure qui offre des conditions de navigation beaucoup plus confortables pour les destinations qu’il dessert désormais.
Depuis Bordeaux, les faïences auvillaraises partaient en partie pour la Bretagne et la Charente.

Marchands, colporteurs et foires

Le commerce de la faïence s’effectue également par voie de terre, bien que l’état des routes et des chemins ne facilite pas l’acheminement par voie terrestre, la faïence étant un produit particulièrement fragile.
les colporteurs sont indispensables à l’écoulement des faïenciers de la Lomagne et du Quercy. Il y avait également des marchands italiens d’origine génoise qui vendaient des produits d’Ardus et des environs.
Des marchands venaient aux foires et marchés à Auvillar pour acheter des faïences. Il y avait notamment deux foires à dates fixes, à Pâques et à la Sainte-Catherine, et qui duraient 8 jours chacune, et représentaient des lieux de commercialisation non négligeables pour les faïenciers auvillarais. Ces foires attiraient de nombreux colporteurs et marchands.
Les fabricants auvillarais livraient aussi par voie terrestre à l’intérieur des terres vers le Gers et côté rive droite de la Garonne vers Bergerac. En 1857, on note la livraison d’une quantité considérable de 1810 douzaines d’assiettes de faïences grises (soit 21720 unités) à la Chapelle-des-Pots près de Saintes !
Puis le chemin de fer viendra compléter l’offre de transport entre Auvillar, Bordeaux et Toulouse dès 1856. Le registre de correspondance de Maxime Castex atteste de l’utilisation du train pour se faire livrer du litharge depuis Bordeaux.

Un colporteur en décor d’un saladier d’Auvillar