La plume d'oie

Au XVIIIe siècle, Auvillar connut la célébrité pour ses faïences. Une autre profession, assez rare, presque unique en France, rendit également célèbre la cité : la préparation et l’exportation de la plume d’oie à écrire.
Favorisée par une région de plus dense élevages de volailles, la production s’élevait à la fin du XVIIIe siècle à plusieurs centaines de milliers de plumes, et s’exportait jusqu’au Levant et en Espagne.
Chaque aile d’oie ne donnait que quelques plumes (rémiges) de grande qualité dites “plumes de marque” à canon très large.
Souvent, l’artisan allait vendre lui-même sa production aux foires de Beaucaire ou de Bordeaux, après la création du canal du Midi. Ces foires rassemblaient « la hanse germanique », association de marchands allemands ayant le monopole du commerce par eau, de la mer du Nord à la Baltique, et qui étaient grands amateurs et acheteurs de nos plumes pour leur qualité.
La rapide diffusion de la plume métallique, apparue en Angleterre au milieu du XIXe siècle, est venue mettre fin à cette industrie locale.

Préparation de la plume :
Avant son utilisation, la plume à écrire subissait un traitement assez complexe qui pouvait durer plusieurs jours, et qui consistait à rendre le canon plus dur, pour une meilleure et durable utilisation.
Avant la taille qui se faisait à l’aide de couteaux spéciaux, très difficiles à trouver aujourd’hui, ce traitement, appelé trempe et clarification, nécessitait une grande attention et une grande habileté manuelle de la part du fabriquant pour manier le feu, l’eau et le sable nécessaires à cette opération.
De l’habileté et de l’expérience de l’artisan, dépendait une réputation de qualité qui dépassait parfois les frontières, comme ce fut le cas à Auvillar.
Habituellement, les plumes d’oies, de cygnes, de dindons étaient utilisées pour des écritures de grosseur moyenne ou grande. Quant à celles de canards et de corbeaux, elles sont plutôt destinées aux écritures les plus fines et le dessin, ces dernières étant petites et difficiles à tenir : on peut tailler leur réservoir et l’insérer dans un morceau de bois ou de roseau, pour une meilleure tenue en main, ancêtre du porte-plume moderne.
L’usage de l’utilisation des plumes remonte très loin dans le temps. Au British Muséum, des peintures égyptiennes représentent des scribes employant cet instrument. Les romains l’utilisaient sur le vélin (peau de veau ou de mouton préparée pour l’écriture – environ 190 ans av JC).
Au Moyen Âge, différentes espèces d’oiseaux furent employées : le pélican, le faisan, l’aigle, le paon et le corbeau.
Pour le dindon ou l’oie aux nombreuses pennes, les cinq premiers tuyaux sont habituellement utilisés : les rémiges. Les sixièmes ou septièmes pennes sont plutôt réservées au dessin très fin, de même que les rectrices ou plumes de la queue.
Les plumes dont le tuyau s’oriente vers la droite quand on les tient dans la main qui écrit, proviennent de l’aile gauche. Certains calligraphes les préfèrent aux plumes de l’aile droite, qui elles s’orientent vers la gauche.
L’époque la plus favorable pour le ramassage coïncide avec celle de la mue, car les plumes se trouvent alors dans une période qui facilite leur traitement ultérieur.
Une plume se compose de trois parties : le tuyau, le réservoir et les barbes avec leurs barbules.
À l’état naturel, le réservoir est recouvert d’une sorte de peau graisseuse renfermant la moelle, et qui a donc tendance à le ramollir. Afin d’y remédier, il faut durcir la plume.
Avant la taille de la plume, celle-ci doit être débarrassée de la membrane graisseuse qui entoure le tuyau.
Ces différentes techniques de transformations, appelées « trempe » et « clarification », ont varié selon les époques et l’expérience des artisans.

La trempe :
Cette méthode employée au XVIIIe siècle consiste à humecter les plumes d’oie, soit en les plaçant dans une cave humide pendant un jour ou deux, le bec de la plume en terre, soit en les enveloppant dans une étoffe humide, plusieurs heures avant de les traiter.
À travers la grille d’un feu, introduire le réservoir de la plume de sorte qu’il ne touche pas le feu, mais soit bien chauffé en tous points. La plume ainsi chauffée sera passée sous une plaque de métal chaude, à la surface lisse.
Ce procédé permet d’ôter la substance membraneuse recouvrant le réservoir et lui donne une forme bien ronde. Renouveler ensuite l’opération en inversant la position du réservoir. Lui faire reprendre sa forme originelle sur le feu. La pression sous la plaque l’ayant préalablement aplatie.
À noter que si la plume n’a pas été suffisamment humectée, elle risque de se fendiller sur les côtés. Ce travail exige une très grande attention. En dernier lieu, frotter la plume avant de la polir.
Un autre procédé consiste à couper en biais l’extrémité de la plume et de la placer dans des cendres chaudes. Enlever la membrane extérieure en grattant le réservoir avec le dos de la lame d’un couteau, puis limer la plume en frottant avec un lainage. On peut également mouiller le réservoir, puis en maintenant au-dessus d’un feu de charbon de bois, le gratter avec le couteau.

La clarification :
Selon ce procédé du XVIIe siècle, commencer par enlever la pellicule extérieure de la plume en grattant puis couper son extrémité. La plonger ensuite dans de l’eau bouillante contenant une petite quantité d’alun et de sel. Après 15 mn, la faire sécher dans un poêlon de sable chaud puis dans un four.
Au XVIIIe siècle, la méthode de clarification diffère sensiblement. Elle consiste à lier les plumes en botte (mais sans trop les serrer), et à les placer dans une marmite à l’étuvée, de sorte qu’elles ne touchent pas l’eau. Il suffit ensuite de les recouvrir d’un couvercle et de laisser la vapeur agir pendant une heure. Ensuite, il faut les sortir et les faire sécher près d’un feu. Le lendemain, il ne restera plus qu’à gratter les réservoirs avec le dos d’un couteau, et à les lisser avec un lainage. Après plusieurs jours, on pourra utiliser ces plumes.
La taille et l’incision du bec sont possibles. Cependant, exécutée trop tôt, lorsque la matière est encore molle, l’incision risque de ne pas être franche et nette.

La taille des plumes :
On commence par raccourcir la plume, arracher les barbules superflues et ôter les duvets. L’instrument ayant été durci, on coupe obliquement l’extrémité du côté du ventre, on en fait autant pour le dos, puis on incise la fente de ce côté avec le tranchant du couteau que l’on glisse dans le tuyau, en prenant bien garde de ne pas trop enfoncer la lame. En effet, il est toujours préférable d’agrandir la fente par éclatement, ce qui présente l’avantage de la garder fermée. Par le canal ainsi formé s’écoulera l’encre. Ensuite, on retourne la plume et on lui fait une grande ouverture sur le ventre, on évide l’extrémité de part et d’autre de la fente. Enfin, pour tailler le bec, on pose le dessous de la plume sur une surface dure et lisse, et on place le canif sur le tranchant à l’endroit où l’on veut couper.
Ce dernier coup que les maîtres de l’art appellent le «tact», doit être fait subtilement, de manière vive et nette. Cette taille date du XVIIIe siècle.
Une telle profession ne nécessitait pas un matériel important ou encombrant. Par contre, elle obligeait l’artisan à une surveillance soutenue et le contrôle permanent de la chaleur, de l’humidité durant les manipulations qui ne souffraient d’aucune erreur, pour atteindre la perfection exigée par les calligraphes et utilisateurs professionnels de l’époque. Il fallait aussi une parfaite connaissance de la qualité des différentes plumes, afin de les soumettre à un véritable et difficile travail d’artiste.